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Le déséquilibre Nord-Sud de laccès à linformation. | ||
Auteur: Xavier Dumont |
Date de publication: 09/2001 |
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Localisation: Ciberthèque > Participants > fra_doc_06/cap2.html |
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Chapitre 2
LES ORIGINES DU DESEQUILIBRE NORD-SUD La libre circulation de linformation devient, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un enjeu de la Guerre froide et constitue un des grands contentieux entre les Etats. Selon lUNESCO1 , la question de la libre circulation de linformation était interprétée selon deux logiques fondamentalement opposées. En effet, lUNESCO affirme que la conception des démocraties occidentales se fondait sur larticle 19 de la Déclaration universelle des droits de lhomme2 et prônait lélimination de toutes les barrières qui entravaient la recherche, la réception et la diffusion des informations et des idées tant à lintérieur des Etats quau delà de leurs frontières. A contrario, la conception de lUnion soviétique et des démocraties populaires trouvait ses origines dans la théorie communiste qui définit les médias en tant quinstruments déducation contrôlés par lEtat, en vue daccélérer lédification du socialisme. Dès lors, au principe dune libre circulation sans entrave de linformation, lUnion soviétique et les démocraties populaires opposaient celui dun échange contrôlé de linformation, dans le respect de la souveraineté et de la non-intervention dans les affaires intérieures de lEtat.
Dans ce contexte de tension internationale lié à la Guerre froide, les pays en voie de développement se déclaraient victimes de graves inégalités en matière de flux dinformation entre le Nord et le Sud et considéraient « comme exagérée, déformée, voire mensongère, la façon dont les médias du Nord reflétaient leurs réalités nationales. Aussi réclamaient-ils un rééquilibrage des flux de linformation [et] donc implicitement un contrôle de linformation en provenance des pays du Nordl3». Selon Y. Lacoste 4, la production, la circulation, le contrôle et la vente dinformations représentent un enjeu à la fois politique, économique, social et diplomatique. En effet, Y. Lacoste affirme que ce processus est principalement le fait de la révolution technologique, de la mondialisation des économies et des échanges et de linternationalisation du jeu des grands acteurs, Etats ou firmes. Au centre de ce phénomène, trois ou quatre grandes agences de presse occidentales se trouvent en position quasi oligomonopolistique, disposant de près de 80 % des informations mondiales. Y. Lacoste défend lidée selon laquelle lémergence dune quantité limitée de grandes agences mondiales dinformation pose un certain nombre de questions essentielles : « par leurs réseaux, leurs personnels et leurs moyens de couverture en direct des grands événements mondiaux, elles sont souvent mieux informées que la moyenne des Etats. Elles en viennent à jouer un rôle politique considérable. Lubiquité et linstantanéité de linformation, qui dramatise et met en scène les faits ( ) reposent sur une logique de marchandisation de linformation qui rend possible la manipulation des opinions publiques et des pouvoirs politiques. Les traditionnelles marges de manuvre (politiques, diplomatiques et militaires) dont disposent les Etats pour gérer les crises tendent à disparaître au profit de la dictature de laffect et de linstantanéité. Ce processus inquiétant peut modifier la gestion des crises et des relations internationales (coup de bluff en direct, personnalisation outrancière des rapports diplomatiques, course éperdue contre la montre ) en empêchant au temps de la réflexion et de lanalyse de jouer son rôle. Par leurs spécialisations économiques et financières et les moyens technologiques dont elles disposent, les agences deviennent des acteurs centraux de la mondialisation des économies et des échanges et des dysfonctionnements de plus en plus considérables qui apparaissent. ( ) Par la domination des moyens anglo-saxons, les flux dinformation connaissent un véritable monopole régnant quasi sans partage sur le reste du monde. Au-delà des problèmes politiques et diplomatiques directs que pose ce monopole, on assiste à la généralisation à lensemble du globe dun modèle culturel et dune vision du monde où plus de la moitié de lespace planétaire et environ 70 % de sa population sont marginalisés 5 ». Selon P. Braillard et M.R. Djalili 6, les Etats du Tiers monde ne sétaient pas limités à un rejet du système des blocs. En effet, P. Braillard et M.R. Djalili affirment que ceux-ci ont progressivement, au début des années septante, mis en question lordre international en mettant laccent sur les règles présidant aux échanges économiques. P. Braillard et M.R. Djalili défendent lidée selon laquelle léchec des stratégies de développement adoptées par la plupart des pays du Tiers monde les amènent à contester lanalyse traditionnelle des causes du sous-développement et à rattacher ce dernier phénomène aux structures du système international. Lépoque serait celle dune prise de conscience progressive par le Tiers monde de la nature en partie exogène du sous-développement cest-à-dire des liens existant entre le sous-développement et le fonctionnement du système économique international dominé par les pays industrialisés. P. Braillard et M.R. Djalili concluent que « cest à partir de ce constat que les pays du Tiers monde, coalisés au sein du mouvement des non-alignés, proclament, dès 1974, au sein de lAssemblée générale des Nations Unies, la nécessité dun nouvel ordre économique international. Cet ordre devrait être fondé sur une véritable souveraineté des pays du Tiers monde sur leurs ressources naturelles, une amélioration des termes de léchange, une réglementation des activités des sociétés multinationales, et la création de conditions favorables au transfert de ressources financières et technologiques vers les pays en voie de développement 7 ». Si la multilatéralisation des économies caractérise laprès-Seconde Guerre mondiale, JJ. Roche affirme quil ne faut pas pour autant négliger la transformation des instruments de communications. En effet, JJ. Roche défend lidée selon laquelle « la villagéisation de la planète devint le complément inévitable de léconomie-monde à partir du moment où linformation et la communication se transformaient en biens de consommation courante. Par communications, il faut dailleurs considérer ce terme dans le sens le plus large, puisquil ne sagit plus seulement dinformations mais également de la multitude des flux, bien souvent immatériels, qui traversent et ignorent les frontières. Linstantanéité de linformation a ainsi modifié en profondeur les règles et les comportements politiques ( ) Jointe à lessor de linformatique, linstantanéité des communications parachève lintensification des échanges. Celle-ci avait vaincu les contraintes de lespace. Celle-là vient rompre les contraintes du temps. Facteur positif, linstantanéité des communications contribue à une moralisation certaine de laction politique. Facteur négatif, elle ignore les contraintes nationales et aboutit dans certains cas à se jouer de la faiblesse des nations démunies au profit des nations fortes8 ». Dès la seconde moitié des années septante, lUnion soviétique, les démocraties populaires et les pays en voie de développement portent conjointement le débat auprès de lUNESCO afin de préconiser un nouvel ordre mondial de linformation et de la communication (NOMIC). Pour les pays en voie de développement, la liberté de linformation dissimule son contrôle par lOccident à travers les grandes agences dinformation. Ils revendiquent un nouvel ordre qui prenne en considération les préoccupations des pays du Sud et offre une information plus équitable. Selon J. Decornoy, la communauté internationale tente de répondre aux questions suivantes : « Doù provient massivement linformation ? Qui la produit ? Qui la diffuse ? Les flux Nord-Sud nécrasent-ils pas les cultures sous-développées, balayant les identités locales ou nationales au profit dune prise de contrôle du signe par une poignée de puissances disposant des techniques et des moyens financiers 9 ? ». Pour répondre à toutes ces nouvelles interrogations, une Commission internationale détude des problèmes de la communication est établie dès 1977 par lUNESCO. Connue également sous le nom de son Président, S. MacBride, le « rapport intérimaire sur les problèmes de la communication dans la société moderne 10 » sera adopté à Belgrade le 25 octobre 1980. Nous ne nous livrerons pas à un examen approfondi de ce rapport dans la mesure où, en vingt ans, les technologies de linformation et de la communication ont sensiblement évolué. Néanmoins, nous pensons quil est utile den relater quelques points essentiels pour introduire la problématique du déséquilibre Nord-Sud de laccès à linformation. En effet, la commission MacBride constate que 11 :
Sur cette base, le rapport MacBride définit les principes dun nouvel ordre mondial de linformation :12
La Commission MacBride réaffirme ensuite une série de principes déjà évoqués au sein de lAssemblée générale des Nations Unies et de la Conférence générale de lUNESCO13 :
Le rapport conclut que la communication « met en jeu la possibilité pour les hommes de vivre désormais en bonne intelligence en acceptant enfin « lautre » dans sa spécificité avec non plus le souci dimposer à cet « autre » un mode de vie et de pensée mais le désir fraternel de senrichir mutuellement au contact de cultures différentes14 ». 3 Les conséquences de la revendication dun nouvel ordre international Décrivant la foudroyante contre-offensive menée par une coalition à dominante anglo-saxonne qui dénonçait le fait que les revendications culturelles de lUNESCO se doublaient de prises de positions sur un nouvel ordre économique mondial, J. Decornoy défend lidée selon laquelle cette coalition aurait mis en place un chef duvre de désinformation : « faisant dire à lUNESCO ce quelle navait jamais dit, elle fit cesser le débat en assenant ce constat : les arguments invoqués nétaient que dangereuses fadaises puisque leurs défenseurs provenaient du monde non-aligné, où les libertés ne débordaient pas du cadre dun discours lui-même approuvé par les pays communistes où ces mêmes libertés demeuraient à létat dornement institutionnel15 ». A. Mattelart énonce lui aussi les raisons de cet échec : « hypocrisie de nombreux Etats non-alignés pour lesquels le déséquilibre des flux Nord-Sud dinformation sert dalibi car la liberté de la presse et la liberté dexpression sont le plus souvent bafouées sur leur propre territoire ; intransigeance des Etats-Unis opposés à toute régulation des flux dinformation et de communication au nom de leur doctrine du « free flow of information » calquée sur celle de la liberté de commerce ; duplicité enfin de lUnion soviétique utilisant les revendications démancipation culturelle des pays du Tiers monde pour mieux verrouiller son propre système de communication 16». Le début des années quatre-vingt marque le paroxysme de la Guerre froide et de la crise des Nations Unies : crise de fonctionnement, crise financière et crise de légitimité avec le retrait des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne de lUNESCO17. Les Etats-Unis se retirent de lOrganisation en décembre 1984 et la Grande-Bretagne en fait de même un an plus tard. Ces deux pays nacceptent pas ce quils appellent « le terrorisme tiers-mondiste » de lUNESCO18. Dans les années quatre-vingt, la démarche tiers-mondiste révèle ses limites et ses ambiguïtés. Les efforts du Tiers monde pour créer ses propres canaux dinformation butent sur les divergences entre les Etats même si des structures sont mises en place, comme lAgence panafricaine dinformation dès 1982. Centrée à lorigine sur le rôle des agences de presse occidentales dans la distorsion de limage des pays du Tiers monde, A. Mattelart19 affirme que la polémique glissera vers lanalyse du système transnational de communication et des conditions du transfert des technologies au sein de lUnion Internationale des Télécommunications (UIT). Selon A. Mattelart, cette polémique népargne pas non plus lOrganisation Mondiale de la Santé (OMS) qui établit un lien de cause à effet entre dune part les modèles de consommation individuels en matière pharmaceutique et alimentaire et dautre part les stratégies de marketing des sociétés multinationales du secteur. A. Mattelart défend lidée selon laquelle la croyance en la possibilité délaborer des politiques publiques visant à enrayer les effets négatifs des activités de ces firmes et favoriser leurs impacts positifs sur le développement des économies nationales préside à de multiples initiatives des Etats-nations et de leurs institutions supranationales. Dès lors, A. Mattelart en conclut que le terme de « firmes transnationales » est préféré à celui de « multinationales » parce quil traduit mieux la gestion centralisée et le mouvement dintégration de leurs stratégies au niveau mondial, source virtuelle de conflits dintérêts avec le territoire daccueil.
1 UNESCO, Rapport mondial sur la communication : les médias face aux défis des nouvelles technologies, Editions UNESCO, 1997, p. 216. 2Article 19 : « Tout individu a droit à la liberté dopinion et dexpression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen dexpression que ce soit », http://schubert.obs-nice.fr/sgen/dudh.html. 3 UNESCO, Rapport mondial sur la communication : les médias face aux défis des nouvelles technologies, Editions UNESCO, 1997, p. 216. 4 Y. Lacoste (dir.), Dictionnaire de géopolitique, Paris, Flammarion, 1993, p. 83. 5 Y. Lacoste (dir.), Dictionnaire de géopolitique, Paris, Flammarion, 1993, p. 84. 6 P. Braillard, M.R. Djalili, Les relations internationales, Paris, Presses Universitaires de France, 1997, p. 87. 7 P. Braillard, M.R. Djalili, Les relations internationales, Paris, Presses Universitaires de France, 1997, p. 88. 8 J.J. Roche, Théorie des relations internationales, Paris, Montchrestien, Clefs/Politique, 1997, pp. 44-45. 9 J. Decornoy, « Aux ordres du Nord », dans Médias, mensonges et démocratie, Manière de voir n°14, Février 1992, p. 42. 10 UNESCO, Rapport intermédiaire sur les problèmes de la communication dans la société moderne, Editions UNESCO, 1978. 11 UNESCO, Rapport intermédiaire sur les problèmes de la communication dans la société moderne, Op. Cit., pp. 40-41. 12 UNESCO, Rapport intermédiaire sur les problèmes de la communication dans la société moderne, Editions UNESCO, 1978, pp. 82-83. 13 UNESCO, Rapport intermédiaire sur les problèmes de la communication dans la société moderne, Editions UNESCO, 1978, p. 83. 14 UNESCO, Rapport intermédiaire sur les problèmes de la communication dans la société moderne, Paris, Editions UNESCO, 1978, p. 84. 15 J. Decornoy, « Aux ordres du Nord », dans Médias, mensonges et démocratie, Manière de voir n°14, Février 1992, p. 42. 16 A. Mattelart, « La nouvelle idéologie globalitaire », dans Collectif, Mondialisation, au-delà des mythes, Paris, La Découverte-Syros, Les Dossiers de Létat du monde, 1998, p. 84. 17 E. Glaser, Le nouvel ordre international, Paris, Hachette Littératures, Forum, 1998, p. 169. 18 P. Moreau Defarges, Relations internationales (2. Questions mondiales), Paris, Seuil, Points Essais,1994, p. 223. 19 A. Mattelart, « La nouvelle idéologie globalitaire », dans Collectif, Mondialisation, au-delà des mythes, Paris, La Découverte-Syros, Les Dossiers de Létat du monde, 1998, p. 84.
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