Mistica | pagina de entrada Ciberothèque
Votre page précédente Projet | Emec | Aplications Pilote | Clearinghouse | Evènements | Evaluations Votre page suivante

Quelque réflexions pour une mise en perspective de l'impact social des Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication
Auteur:
Pierre Johnson
Date de publication:
Contenu
Mots clef:
Localisation:
Ciberthèque > Participants > fra_doc_02.html
Documents connexes:

Hypothèses


1/ La révolution des TICS est un des aspects de l'évolution des forces productives vers le développement de l'information comme principale source de richesse. D'autres aspects sont, par exemple, le développement du génie génétique et des organismes génétiquement modifiés.

2/ Le développement des TICs ne supprime pas les contradictions sociales des pays où elles se diffusent, pas plus qu'il n'y apporte de solution miracle. Il les situe simplement dans un nouveau contexte, pouvant fournir de nouvelles opportunités de résoudre certaines de ces contradictions.

3/ Les solutions émergeantes des contradictions sociales en Amérique latine viennent de la constitution de nouvelles alliances et de l'élaboration de nouveaux discours, en rupture avec le gauchisme des décennies précédentes et avec le réformisme. Les TICs peuvent offrir un appui à la constitution de ces alliances et à l'élaboration de nouveaux discours, mais pas les remplacer.

1/         L'émergence d'une "société de l'information"

        La révolution des TICS est un des aspects de l'évolution des forces productives vers le développement de l'information comme source de richesse. Un autre aspect de cette évolution est, par exemple, le développement du génie génétique et des OGM (Organismes Génétiquement Modifiés). Dans cette nouvelle économie, l'information a davantage de valeur que son support. Il s'agit d'un changement fondamental par rapport au capitalisme fordien classique, basé sur la production de masse de produits matériels. L'information a d'autres propriétés que la matière. Elle est d'emblée un produit social dont l'appropriation purement individuelle induit des contradictions importantes. Malgré ce fait, les compagnies informatiques commerciales ont développé des stratégies pour s'approprier l'information elle-même. Cette contradiction est similaire à celle qu'induisent les compagnies qui prétendent mettre des brevets sur des organismes vivants afin d'en faire un emploi industriel.
        La discussion est déjà présente au niveau juridique international avec le débat sur le droit de propriété intellectuel, porté jusqu'à l'OMC. Les lobbies des multinationales voudraient privatiser ce droit, pourtant inventé pour protéger les intérêts de l'humanité (celui-ci ne protège que les formes d'expression matérielles des idées; l'idée elle-même reste un bien commun, inappropriable). Le projet d'Accord Multilatéral sur l'Investissement voulait généraliser ce point de vue.


2/         La dialectique sociale des TICs dans le contexte latino-américain

        Les contradictions induites par le développement des forces productives sont généralement complexes. En Amérique latine coexistent des contradictions issues de différentes étapes historique: colonialisme et capitalisme. Tout comme la conquête des indépendances n'a pas suffit à résoudre les contradictions existant depuis la colonisation, le développement d'une nouvelle forme de capitalisme et de la globalisation ne suffisent pas à résoudre celles issues des indépendances et de l'imitation du modèle occidental de l'Etat-nation. Ces mouvements, qui ont une origine internationale, ne font qu'articuler de nouvelles contradictions à celles qui existent. L'analyse doit donc porter à la fois sur les contradictions inhérentes au nouveau panorama social induit par la "société de l'information" et sur la façon dont celui-ci s'articule avec le contexte spécifique de l'Amérique latine. Donnons quelques pistes de réflexions:

a/        Les contradictions de la "société de l'information"

        Le développement vers une "société de l'information" introduit des nouvelles contradictions au sein du capitalisme lui-même, dont il faut tenir compte et au sein desquels les latino-américains doivent se positionner. La société de l'information contredit jusqu'à un certain point les règles du capitalisme et son droit de propriété individuel, basé sur la matière .

"Vos concepts légaux relatifs à la propriété, à l'expression, à l'identité, au mouvement et au contexte ne nous concernent pas. Ils sont fondés sur la matière. Ici, il n'y a pas de matière."
John Perry Barlow. Déclaration d'indépendance du Cyberespace

        L'information apparaît d'emblée comme un bien social dont la valeur se multiplie par le partage, contrairement aux "objets" de la société de consommation.

        Ce fait est clairement illustré par le développement des logiciels libres, ceux dont le code source est rendu accessible à tout utilisateur. Citons le "phénomène Linux", un système d'exploitation (OS) mis au point par un finlandais, repris et amélioré par des équipes universitaires du monde entier, y compris d'Amérique latine. L'ouverture du code-source permet une élaboration collective du programme en réseau bien plus efficace que le travail que pourrait fournir une entreprise classique (laquelle généralement garde jalousement le code-source). La preuve en est que Linux apparaît comme un système d'exploitation plus stable et fiable que ceux issus de l'informatique commerciale. C'est l'OS qui, à part Windows, connaît le développement le plus rapide dans le monde. Il pose un défi aux compagnies qui ont voulu reproduire au sein du monde de l'informatique les définitions classiques du droit de propriété.

        Aucun de ceux qui sont concernés par "la gestion d'un impact social positif des TICs en Amérique latine" ne peut ignorer cette lutte feutrée du monde de l'informatique entre un capitalisme classique et de nouvelles règles du jeu. Aujourd'hui l'informatique commerciale domine le marché en Amérique latine comme dans les autres parties du monde. Cependant deux faits montrent que cette hégémonie est mise en cause par une grande partie de la société:

  • Une partie des utilisateurs ont fait un choix clair pour l'informatique libre. Parmi ceux-ci, certains gouvernements, comme celui de Colombie, lequel a décidé d'implanter le système Linux dans les principales universités du pays.
  • L'extension prise par la piraterie des programmes diffusés par l'informatique commerciale. Cette extension illustre les contradictions de la "société de l'information" énoncées ci-dessus. Elle est une sorte de guérilla ouverte aux règles classiques du capitalisme, une revanche efficace du pauvre.

        A moyen terme, il est important que l'ensemble des utilisateurs et des producteurs de l'informatique prennent position dans ces options différentes. Les alliances qui s'ébauchent dans ce domaine sont d'emblée internationales.

b/        La "société de l'information" dans le contexte latino-américain

        L'Amérique latine se caractérise du point de vue de la communication notamment par:

  • Une population important n'ayant pas recours à l'éducation formelle
  • La coexistence de nombreuses formes culturelles. Au sein de nombre d'entre elles la forme de communication privilégiée est orale.
  • Une grande inégalité dans la distribution des biens, dont ceux qui constituent l'infrastructure nécessaire aux TICs.

Cela définit des défis, des opportunités, et oblige à éviter certains dangers:

Défis

  • La gestion d'un impact social positif des TICs suppose de contourner les inconvénients de la distribution inégale des richesses, par exemple de l'équipement nécessaire à l'utilisation des TICs. Des formes de subversion de l'appropriation de cet équipement par la partie de la population la plus aisée existent déjà; d'autres seront inventées. En effet, les caractéristiques de l'information en font un bien facilement partageable (cf. ci-dessus).
  • La nécessité de décentraliser les initiatives d'utilisation des TICs apparaît tout naturellement. Cette utilisation doit être adaptée au nombre infini de contextes sociaux et culturels différents. Il faut favoriser les initiatives reposant sur une base sociale réelle, laquelle est généralement de petite taille.

Opportunités

  • La souplesse des TICs en font des instruments plus adaptés à un usage social convivial et diffus. Il est par exemple possible de les utiliser comme auxiliaires efficaces de l'éducation. Leur flexibilité induit la possibilité de contourner les contradictions de l'éducation académique pour inventer des formes plus soupes, adaptées aux cultures et aux sociétés qui composent l'Amérique latine.
  • Les TICs peuvent être des outils pour la restauration de la mémoire culturelle, permettent de réaliser des inventaires linguistiques, écologiques, etc. Cette utilisation va à l'encontre de l'uniformisation induite par la société de consommation. Il faut développer les programmes informatiques pouvant servir à un usage social des TICs. Un effort est nécessaire pour inventer par exemple de nouvelles bases de données adaptées aux caractéristiques des données à collecter et à l'usage qui en est fait, des outils efficaces d'analyse qualitative, etc. Or ce type de programmes est plus rare et souvent plus cher que ceux servant à l'industrie de la production ou du jeu électronique.

Dangers

L'inégalité dans l'accès aux moyens de communication se traduit dans l'inégalité de l'accès à l'information et de la production de l'information. Celle-ci n'est que partiellement compensée par le caractère volatile de l'information. Lorsque les déséquilibres sont trop importants, l'inégalité s'en trouve accentuée. Le cas de la guerre du Golfe (Irak) est exemplaire. Par un contrôle rigoureux des médias un Etat (les Etats-Unis) a réussi à nous présenter une image aseptisée de ce conflit. La même chose est vraie pour l'intervention antérieure de ce même Etat au Panama (contre le régime du général Noriega). Des quartiers populaires ont pu être bombardés, après que l'opinion international eut été conditionnée et la conscience internationale soigneusement anesthésiée. Des ouvrages commencent à raconter comment l'armée américaine contrôlait étroitement durant ce conflit toute production indépendante de l'information, notamment tout enregistrement audiovisuel.


3/        Nouveaux acteurs sociaux, démocratie radicale et TICs

        De nouvelles pratiques sociales et de nouveaux discours émanent de la société civile d'Amérique latine. Une partie de celle-ci a acquis une maturité lui permettant d'échapper aux impasses du radicalisme des décennies précédentes. Cette émergence doit plus à l'expérience des mouvements sociaux antérieurs, à l'assimilation de leurs échecs, et à la maturation de la société civile qu'au développement des TICs. Mais les TICs peuvent être un appui dans la constitution de nouvelles alliances et l'invention d'un nouveau discours de la société civile.
        Deux exemples venant du Mexique illustrent les formes selon lesquelles peuvent s'articuler recomposition des acteurs sociaux et utilisation des TICs:

a/        Grâce à la formulation d'un nouveau discours et à un usage intelligent des moyens de communication l'Armée Zapatiste de Libération Nationale a rencontré des appuis importants au sein de la société mexicaine, et représente aujourd'hui un des symboles de l'émergence de nouveaux acteurs sociaux dans le monde. Une des caractéristiques de la communication zapatiste est de donner la priorité à la parole et à sa transcription écrite sur l'image. Ce faisait il renoue avec le sens social du discours politique et déjoue les pièges de la communication de masse, qui uniformise et individualise les récepteurs. La parole établit un lien direct avec la société civile, définit des engagements sociaux que la manipulation par l'image a tendance à dissoudre. Elle est relayée par des médias progressistes, par un réseau d'alliés utilisant tous les médias possibles, y compris Internet.
        Il faut remarquer que le discours zapatiste utilise un vocabulaire spécifique, ce par quoi il affirme une identité sociale nouvelle. Il ne parle pas de "développement" ou de "secteur social" mais de dignité et de respect de la parole donnée; pas de redistribution des revenus et d'Etat providence, mais de l'abîme entre le Mexique "d'en-haut" et le Mexique "d'en-bas", montrant ainsi qu'il n'est pas nécessaire de reprendre les catégories élaborées dans l'académie ou par les bureaucraties pour avoir une influence sociale importante. Ce faisant il affirme son autonomie comme mouvement social indigène, ce qui ne l'empêche pas d'établir et de susciter des alliances avec de larges secteurs de la société civile, et ainsi de prendre une position particulière au sein de la "société de l'information".

b/        Une coalition d'universitaires et de militants d'ONG mexicains ont lancé un groupe informel nommé "Opciones conviviales para México" (Options pour le Mexique), lequel introduit une rupture dans l'analyse des problèmes que rencontre le pays. Instaurant une critique radicale du "développement" et de ses impasses, ainsi que de la démocratie représentative, il cherche à "nommer l'intolérable" et propose une écoute attentive de la société civile pour dégager des options d'avenir pour le pays. Ce groupe utilise naturellement le courrier électronique pour maintenir le contact, mais aussi d'autres moyens plus classiques. Les TICs ne constituent pas un aspect essentiel de sa problématique. Cependant Opcion envisage une diffusion des résultats de sa démarche de recherche auprès d'acteurs sociaux, par tous les moyens de diffusion disponibles, y compris électroniques.

c/        A un niveau plus général, l'Association for Progressive Communication s'efforce de mettre à disposition à moindre coûts aux groupes constitués des sociétés civiles du monde entier les moyens de communication modernes. Cette association a de nombreux partenaires en Amérique Latine. Grâce à elle, beaucoup d'ONGs sont connectées à Internet et recevoir une formation sur les TICs à moindre coût. C'est un exemple de l'établissement d'alliances à niveau international, et du moyen d'articuler les efforts d'un secteur de la société civile d'un pays développé avec celles de pays en développement.


Conclusions

        La dialectique du progrès technique et du mouvement de la société est complexe. En Amérique latine, les nouvelles TICs se diffusent dans un contexte par lui-même suffisamment indéchiffrable. Elles change certaines habitudes, redessinent les alliances et les stratégies; en bref s'articulent aux contradictions existantes sans les supprimer, mais en les redéfinissant en partie, suggérant quelques lignes dirigées vers l'avenir. La gestion d'un impact social positif des TICs en Amérique latine suppose la compréhension du panorama général actuel de la société latino-américaine, et une analyse de la façon dont les TICs influence celui-ci. Il est nécessaire d'être attentif aux contradictions que porte en elle-même la "société de l'information". Mais il faut aussi prêter une grande importance à l'émergence de nouveaux acteurs, laquelle n'est pas nécessairement liée au développement des TICs. C'est seulement avec cette pluralité de perspectives que l'on pourra définir des stratégies pour un usage social efficace des TICs, pour leur incorporation aux efforts de la société civile, dépassant une simple juxtaposition à celle-ci.




Votre page précédente Haut de page Votre page suivante
Crédits | Plan du site | Courrièl: <[email protected]>
http://funredes.org/mistica/français/cyberothèque/participants/docuparti/docpj.html
Dernière modification: 26/04/2000