RELATIONS DE PROFIT MUTUEL

ENTRE LES OPÉRATEURS DE TÉLÉCOMMUNICATIONS ET LES RÉSEAUX DE LA RECHERCHE : UN ATOUT POUR LE DÉVELOPPEMENT DES PAYS DU SUD.

AUTEUR: Daniel Pimienta Directeur de l’Association Réseaux et Développement (FUNREDES), [email protected] http://www.funredes.org COPYRIGHT: FUNREDES 11/1995

MOTS CLEFS: Réseaux de la recherche, Internet, Télécommunications, Opérateurs, Infostructure, Pays en Développement, Sud, République Dominicaine, REDALC, REDID, REHRED, FUNREDES. TRADUCTION DE L’ANGLAIS: Compliments de l’Union Latine

RESUME

Cet article traite des relations entre les opérateurs de télécommunications et les réseaux de la recherche dans les pays en voie de développement. Le concept de relations de profit mutuel est présenté comme un objectif à atteindre. D'un côté, les opérateurs de télécommunications pourraient tirer profit des réseaux de la recherche en ce qui concerne la création de marchés pour la transmission de données et les réseaux à valeur ajoutée, ainsi que du transfert de savoir-faire technique dans le domaine des réseaux. De l'autre, les réseaux de la recherche tireraient profit des services offerts par les opérateurs de télécommunications, en premier lieu l’accès à des lignes spécialisées à haute vitesse, qui représentent une large proportion de leurs dépenses. De telles relations de synergie seraient profitables au développement du pays.

Les raisons pour lesquelles la négociation entre les deux partenaires est une excellente façon d’aborder la question sont exposées, ainsi que des suggestions, destinées aux réseaux de la recherche, relatives à la conduite de négociations efficaces. Des arguments visant à persuader les opérateurs de télécommunications qu’il s’agit de la bonne voie à suivre, sur le plan commercial, sont donnés. L’article se réfère aux recommandations UIT/Unesco et au réseau de chercheurs dominicain REDID (un des projets de REDALC), qui a servi de prototype à cette approche.

INTRODUCTION

L’importance des télécommunications pour le développement ont déjà été démontrées (voir, par exemple, "Telecommunications and Economic Development", par R.J. Saunders et al, A World Bank Publication, Johns Hopkins, 1983). Pour des raisons différentes, la science et la technologie représentent un autre atout bien identifié pour le développement. Outre l’importance qu’ils revêtent pour le développement d’un pays, ces domaines sont essentiels à l’indépendance de celui-ci.

A l’époque où les technologies et les marchés des télécommunications, de l’informatique et des médias fusionnent pour donner naissance au plus important couple défi / opportunité pour le développement du monde, à savoir les infrastructures de l’information (ou “infostructures), un soin tout particulier devrait être apporté, dans les pays du Sud, à la mise en place de relations de synergie entre le monde de la recherche et le secteur des télécommunications. Cette question va au-delà des intérêts directs de ces deux groupes : elle sert de base à la création d’un secteur recherche et développement orienté vers des solutions propres au développement et soutient le transfert de technologie, en se fondant sur les connaissances locales et les enseignements tirés de l’étranger. Une nouvelle forme de recherche axée sur une collaboration flexible se développe grâce aux réseaux, au sein desquels la recherche est orientée vers un usage concret avec une rétroaction qui modifie à la fois le calendrier et l'utilité de la recherche. En tant que véhicule de la collaboration dans la recherche et de l’éducation à distance, dans tous les secteurs, elle bâtira les ressources humaines et les capacités institutionnelles. Les rapports existant, dans les pays en voie de développement, entre les opérateurs de télécommunications et les réseaux de la recherche représentent une excellente opportunité de commencer à tester ce nouveau modèle.

Les tarifs préférentiels qui pourraient être accordés dans le cadre de ce genre de rapports ne sont pas à considérer comme des subventions (ce qui viendrait contredire le mouvement général de libéralisation actuellement en cours dans le secteur des télécommunications), mais plutôt comme ce qu’ils sont réellement : un échange économique équilibré, étant donné qu’il existe d’évidentes raisons commerciales à la participation des entreprises de télécommunications à une alliance qui à la fois renforce son rendement au niveau national et la demande de services de télécommunications.

D’une part, le coût des communications nationales et internationales continue à représenter le poste le plus important du budget d’un réseau national de recherche et, bien souvent, le principal obstacle à la croissance de ces réseaux dans les pays du Sud. D’autre part, dans la plupart des pays en voie de développement, les marchés de la communication de données et des réseaux à valeur ajoutée naissent lentement, et le syndrome de la poule et de l’œuf, qui lie utilisateurs et services, ne pourrait être rompu aisément au moyen des techniques classiques de marketing.

Par ailleurs, les réseaux de la recherche ont, presque partout, été à l’origine de la base initiale d’utilisateurs des services à valeur ajoutée, en acquérant un savoir-faire inégalable en termes de dissémination vers l’utilisateur de technologie de communication de données et de mise à disposition de l’information. Les opérateurs de télécommunications sont les fournisseurs et fixent le prix pour l’utilisation des équipements de transmission de données. Les conditions tarifaires de l’offre de service auront la propriété d’étendre ou restreindre le marché.

Cette situation et la possibilité d’un échange équilibré offrent une occasion unique de mettre en place des relations de partenariat qui profiteront aux deux parties et, en fin de compte, au développement du pays dans son ensemble. Si les opérateurs de télécommunications examinent les tendances du marché des télécommunications (en ce qui concerne l’importance relative de la voix et des données, ou des contenus par rapport à la transmission physique des données), et reconnaissent le rôle fondamental des chercheurs dans la création des outils et de la culture de la société de l’information, il seront à même de comprendre que la collaboration avec les chercheurs pourrait se révéler un investissement rentable à moyen et à long terme. Dans certains cas particuliers, l’opérateur de télécommunications peut être très sensible au court terme et, par là même, peu disposé à perdre des recettes immédiates sur un segment précis du marché, malgré la perspective d’une rentabilité de cet investissement à moyen terme. Dans de tels cas, il devrait comprendre l'avantage d’une « association à risque », caractérisée par un investissement extrêmement marginal et des bénéfices potentiels importants à long terme. Les marchés des télécommunications évoluent trop rapidement et en profondeur pour justifier des comportements qui se fondent sur des arguments dépassés .

Cet article prétend, en généralisant les résultats positifs d’un des projets REDALC , conceptualiser un schéma de négociation entre les réseaux de la recherche et les opérateurs de télécommunications axé sur le concept de respect mutuel et de profits mutuels

UNE STRATEGIE UNIQUE

Le fondement de cette stratégie est que :

Il existe un domaine d’intérêt commun entre les opérateurs de télécommunications et les réseaux de la recherche : le développement et la croissance d’une base d’utilisateurs. Les deux groupes ont intérêt à ce que les citoyens et les professionnels deviennent des utilisateurs réguliers des nouvelles technologies de l’information et de la communication ; les uns pour des raisons commerciales, les autres parce que leur vocation est d’aider le plus grand nombre possible de chercheurs à devenir des utilisateurs personnellement et globalement satisfaits des réseaux. Et aussi parce que plus les acteurs du Sud seront habilité à utiliser les réseaux, plus forts ils seront pour représenter et défendre les intérêts du Sud dans l’émergence de la nouvelle société de l’information .

Les membres des réseaux de recherche présentent, pour les opérateurs de télécommunications, les exceptionnels avantages suivants :

Importance mineure sur les recettes directes. L’ensemble du marché des services à valeur ajoutée peut être classifié de différentes façons, l’une d’entre elles étant entre les marchés professionnels et les marchés personnels (le marché du grand public qui, en termes de volume, est le plus vaste). Si l’on ne s’intéresse qu’au marché des professionnels (qu’il s’agisse des micro, petites, moyennes ou grandes entreprises, que celles-ci soient nationalisées, axées sur le profit ou non), alors, en termes de pourcentage sociétés/institutions, le total des universités et des ONG liées à la recherche représente un chiffre de l’ordre de 1 %. Cela reste marginal, eu égard aux recettes potentielles issues des services de télécommunications (quoiqu’on pourrait être induit en erreur par la situation initiale puisqu’elles sont, traditionnellement, le premier segment de marché à savoir comment utiliser ces services ).

Forte incidence sur les recettes indirectes Cependant, les chercheurs exercent une incomparable et très forte influence sur le marché. En premier lieu, parce qu’ils forment les futurs cadres supérieurs et, aussi, parce que la plupart d’entre eux constituent un modèle pour les sociétés privées, par leur capacité à intégrer la technologie. Qui plus est, dans la plupart des pays du Sud, la situation économique conduit les chercheurs à créer une structure qui leur est propre (commerciale ou ONG) et à tisser des liens plus étroits avec le monde des affaires. Enfin, dans la mesure où les sites d’information à but non lucratif se multiplient, qu’ils soient issus de la recherche, de l’enseignement ou d’institutions publiques, les clients des sociétés privées y ont également accès, ce qui profite au commerce, au développement et aux télécommunications, qui voient leurs revenus augmenter.

Aucune étude ni analyse systématiques n’ont été faites, mais il apparaît tout à fait clair que, si on pouvait mesurer scientifiquement la corrélation entre la décision d’achat d’un client et divers paramètres tels que :

Savoir-faire en technologie de réseaux Le savoir-faire acquis par l’ensemble des chercheurs en ligne est réel et s’est traduit par une impressionnante quantité de programmes gratuits qui représenteraient une partie conséquente du marché s’ils étaient commercialisés. L’avance de cette communauté en termes de créativité pour modeler l’avenir de l’autoroute de l’information ne doit pas être sous-estimée. Au sein de ce groupe, quel que soit le pays considéré (du Nord comme du Sud), on rencontre :

CONCLUSION

Pour résumer l’argumentation présentée en annexe, une sérieuse analyse du marché télématique montre que la technologie est plus avancée que l’aptitude de la clientèle potentielle à en tirer profit. L’apprentissage de la clientèle est très lent et les frais engagés dans la promotion commerciale ne contribuent pas forcément à son accélération. Est plus rentable à moyen et à long terme une politique qui favorise l’accroissement du nombre d’utilisateurs de la télématique par le biais d’une promotion destinée à un public pilote - ce dernier constituant à la fois un segment très réduit du marché et pouvant avoir un impact très fort sur toute la clientèle potentielle. Ce segment se compose des universitaires, des chercheurs et des acteurs de la société civile (institutions à but non lucratif).

L’UIT et l’Unesco ont organisé une conférence à Genève, en nov. 1993, sur les « Contraintes économiques à utilisation effective des télécommunications dans l’éducation, les sciences, la culture et la circulation de l’information ». Cette manifestation réunissait des représentants des « communautés de l’Unesco » (agence de presse, recherche et culture) et des télécommunications. Les opérateurs (de la section Tarifs) ont accepté un dialogue franc et ouvert. Parmi les conclusions qui allaient servir de référence à la Conférence Générale de l’UIT, à Buenos Aires, en mars 1994 : « encourager le partenariat et les co-entreprises entre les opérateurs de télécommunications et les utilisateurs de la communauté de l’UNESCO ». Il était très intéressant de noter que les personnes les moins disposées à accepter cette argumentation lors de la conférence ont en commun d’appartenir à un fort monopole national des télécommunications et de se consacrer uniquement au marché de la téléphonie.

REDID a pu être opérationnel depuis sa naissance, en mai 1992, grâce au soutien de la société Codetel, une filiale de GTE, qui offre un accès gratuit à son installation de courrier électronique UUCP et achemine les communications de la recherche à l’Internet depuis et vers l’Université de Porto Rico, à ses frais. Cet accord a été conclu sous la forme d’un contrat renouvelable d’un an qui définit les droits et les devoirs de chaque partie. En juillet 1995 REDID s’est associé à AACR dans un projet de formation où les deux partenaires s’associent pour créer des ressources humaines qualifiées pour gérer leur service Internet respectif. AACR, dans le cadre de cet accord, cède à REDID la liberté d’utilisation de ses canaux de liaison vers l’Internet. La plus part des concepts et considérations de cet article s’applique à d’autres types de réseaux sans but lucratif (comme par exemple des réseaux d’ONG ou des réseaux communautaires).

Le fait que les réseaux deviennent essentiel pour le fonctionnement réel et efficace de la société civile et du secteur public est de plus en plus largement admis. Le facteur temps est devenu crucial pour ce qui est en jeu, depuis la progression d’Internet pour devenue un nouveau média de communication commercial. En effet, dans le cas de REDID, grâce à cette opération, 20 % des clients de l’opérateur privé ont pu bénéficier initialement de l’offre d’accès gratuite. Cependant, l’entreprise Codetel n’a pas perdu ces clients pour des services complémentaires, et la croissance de REDID, sans la moindre campagne de promotion commerciale, a entraîné la croissance des clients commerciaux de Codetel: l’effet est évident si on observe les courbes du nombre total d’utilisateurs.

DATE

.COM

REDID

01-88

30

0

06-92

40

10

12-92

75

25

12-93

225

75

06-94

400

110



DATE

400

300

Y  200

100

0

août

87

Dans le cas du Réseau haïtien (REHRED), un marché a été conclu avec une entreprise privée de télécommunications dès la création, mais il n’a malheureusement pas duré. Notre sentiment est que, au-delà des raisons politiques propres à ce pays, la condition particulière du marché haïtien fait que l’usage des télécommunications par les ONG représente une si grande proportion du marché à court terme que l’entreprise privée a reculé. Les conséquences de cette décision administrative pourront être évaluées dans une perspective plus longue, lorsqu’un réseau de chercheurs construira sa propre infrastructure et que le marché commencera à évoluer. L’étude de REDID, un an après l’accord, a montré que REDID touchait plus de clients que le secteur commercial (grâce à un marketing plus agressif), mais après la deuxième année le coefficient de la courbe commerciale s’est considérablement élevé, malgré l’absence de promotion commerciale. Il s’agit du modèle “diffusion-réponse-révision” qui est de plus en plus utilisé par les géants de l’industrie des logiciels.

Par exemple, si un chercheur dispose d’une adresse électronique grâce à son statut et que, dans le même temps, il dirige une entreprise, il doit savoir que le courrier électronique de son entreprise doit être acheté dans le commerce et que l’utilisation de son courrier électronique de chercheur à des fins commerciales constitue une violation du règlement du réseau de chercheurs. Dans le cas de REDID, les premières négociations ont commencé en 1989, dans un contexte de monopole privé. Cette situation a changé en 1992, lorsque l’arrivée sur le marché de deux opérateurs privés a provoqué une concurrence féroce dans le domaine de la téléphonie (mais le domaine de la transmission des données est resté peu attractif à court terme). Entre 1993 et 1994, d’autres accords ont été conclus avec ACCR. En 1995, la mise en place d’autres partenariats avec chacune des entreprises de télécommunications était devenue possible. Une structure possible serait que Codetel se concentre plus particulièrement sur la partie universitaire, ACCR sur les ONG et TRICOM sur la formation des techniciens de réseau.

Cette campagne est le seul, mais ô combien irritant, avantage dont n’a pu bénéficier REDID lors de sa transaction avec Codetel. Une telle campagne était prévue mais, pour des raisons indépendantes de la volonté de REDID, elle n’a jamais eu lieu. Sa réalisation aurait donné un élan décisif à la création du marché national de courrier électronique. Ces aspects relèvent du pouvoir exclusif de décision des entreprises. En fin de compte, l’histoire des réseaux aurait été radicalement différente dans ce pays si cette campagne avait été mise en place.